Nous citoyens, laïques et fraternels?
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La laïcité à la française repose sur deux présupposés devenus discutables et elle a besoin d'être repensée sous peine de se transformer en une paradoxale religion de la laïcité. Elle présuppose tout d'abord que la nécessaire séparation des confessions religieuse et de l'Etat exige la distinction tranchée du public du privé, la religion se réduisant à la confession spirituelle d'une foi intime. Elle a du mal ensuite à accorder une positivité aux religions en raison de la longue domination et de la récurrence du complexe théologico-politique négateur de la liberté de penser et de la libre égalité des citoyens.
Or, la crise sytémique de notre civilisation rend impossible d'enfermer les religions dans le privé. Au sein d'une époque de sécularisation, il se produit une "déprivatisation" sociale des religions qui entendent s'exprimer comme telles sur les problèmes de société. Si cette déprivatisation peut risquer d'aboutir à la reconstitution d'un complexe théologico-politique, la laïcité est dans sa fonction lorsqu'elle renouvelle la critique qui a trouvé en Spinoza son penseur incomparable. Cette déprivatisation est équivoque mais elle peut se révéler positive si elle s'articule dans un espace de discussion politique non pas seulement multiculturel mais interculturel. La mondialisation culturelle impose cet espace si on veut éviter les chocs identitaires religieux et leur équivoque traduction politique.
Les religions ne sont pas nécessairement vouées à la répétition du complexe théologicopolitique. Elles contiennent des réserves de sens commun positives, accessibles aux "simples" et aux "intellectuels". La laïcité devient rationnelle quand elle se fait historique et matérialiste, quand elle se met en situation d'analyser ces potentialités qui constituent comme autant de "notions communes" partageables à égalité par les croyants et les non croyants et qu'elle unit sa capacité déconstrutrice à une fonction constructrice par-delà les abstractions d'une raison qui peut aussi se fanatiser et dissimuler ainsi des enjeux de domination politique inscrits dans un système social dépourvu désormais de raison.
André Tosel est professeur de honoraire de philosophie à l’Université de Nice, Besançon. Parmi ses ouvrages, Spinoza ou le crépuscule de la servitude (Aubier, 1984), Kant révolutionnaire (P.U.F., 1988), et notamment aux éditions Kimé : Un monde en abîme, 2008, Civilisations, cultures, conflits, 2011, Du retour du religieux, 2011.
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