On a raison de se révolter
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Changez la vie, donc transformez son mode d'emploi. Prenons la révolution au sérieux, mais ne nous prenons pas au sérieux. La politique se passe dans la rue. Nous ne voulons pas d'un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de mourir d'ennui.
Devant les critiques voire le mépris envers les révoltes des années 1970, il devient nécessaire de donner la parole aux militants, de brasser des souvenirs et revenir ainsi aux sources de cette période de l'histoire. Comment vivait-on l'idée de « reconstruire le monde » dans les années 1970 au Québec ? Et aujourd'hui, que faire de cet « héritage impossible » pour reprendre l'expression de Jean-Pierre Le Goff dans son livre Mai 68 : l'héritage impossible ?
Pierre Beaudet nous livre ici un témoignage personnel sur des années de luttes, de révolte et de rêves d'émancipation. À travers son parcours de militant d'extrême gauche, émerge en filigrane le développement d'une conscience politique et un mouvement de transformation radicale de la société québécoise. L'auteur brosse ainsi une critique d'un mouvement marxiste-léniniste dogmatique, qui pense la révolution ouvrière sans ouvriers ; il décrit ces années d'effervescence et de luttes passionnées : des grèves, des manifs et des débats qui se succèdent ; l'insolence et l'imagination régnent ; il se raconte, se questionne, accueille les échos d'autres mouvements révolutionnaires, ailleurs dans le monde (Bolivie, Cuba, Chili, Palestine, ...).
Cette narration intime, dans un style vif, creuse les replis de la mémoire et redonne vie à une période oubliée de l'histoire québécoise ; mais elle permet également de mettre en perspective des sujets plus actuels comme les forums sociaux mondiaux ou l'évolution de la gauche au Québec.
Conscient des contradictions et des errements de cette révolte, Pierre Beaudet revendique son passé et refuse d'espérer moins, de se résigner. « Je m'entête écrit-il et je ne suis pas seul. Il y a partout des petits ruisseaux qui irriguent les dédales de milliers de résistances. Autant de petits et de gros grains de sable. »
- Montréal, mars 1976. La ville est froide. La ville est sèche. La ville est grise. La ville est sale. Le printemps grignote lentement l'hiver. Les jours s'allongent. Un soleil pâle perce de plus en plus, avalant des lambeaux de glace. Tout le monde est excédé. Tout le monde compte les jours. Attente. Déprime. Espoir et désespoir. Le matin, je guette les bourgeons. Dans la ruelle derrière chez moi, chaque parcelle de vert m'émerveille. Éternel recommencement. Eternelle émotion. Éternel mystère. Éternel point de lumière dans un énorme ciel noir. Pour ne pas perdre le sens, je batifole avec mon fils. Autrement, je fouine à droite à gauche sans comprendre vraiment, dans une cosmogonie insoupçonnable. Où s'en va la vie ? J'ai 25 ans et ma pensée bifurque mille fois par seconde. Je cherche à comprendre. Je cherche la bonne question. Je déchiffre un million de passeurs du temps et de l'espace. Gramsci ou Chen Po Ta, Hamlet ou Ulysse. Je me dis que, quelque part du côté des plis non apparents de l'Histoire, il y a sûrement des clés. Je ne les ai pas encore trouvées. Mais c'est sûr, je finirai bien par le faire.
Temps ambigus
Les heures défilent. Les heures s'allongent. Les heures se rétrécissent. Les heures se catapultent. Quelque chose est en germe. Mais quoi ? Je vis ma vie sans trop y penser. En y pensant aussi. Je suis l'animateur d'une petite organisation d'extrême gauche qui s'appelle Mobilisation. J'aime cela. Je déteste cela. Il y a des moments d'une rare intensité, d'excitation, de bonheur, entrecoupés ici et là par des moments de banalité, de médiocrité, d'incertitude parfois. Ce que nous faisons sert-il à quelque chose ? Allons-nous réussir ? Où en sommes-nous avec notre projet de Révolution (avec un grand R) ?
Pierre Beaudet. Vit entre Montréal et Ottawa. Sociologue, il fut pendant longtemps directeur d’ Alternatives et il reste aussi l'un des animateurs d'Alternatives international. Il enseigne aujourd'hui au département de sociologie et d'anthropologie à l'université d'Ottawa. Il collabore à de nombreux journaux et revues et a publié des articles dans des ouvrages collectifs comme « Au bout de l'impasse à gauche » (Lux Éditeur).
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