Corps dans le taoïsme ancien (Les)
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Les textes du taoïsme ancien ne dissertent pas du corps humain dans l'abstrait. Sous la forme de fictions et de fables, de courts récits et de dialogues, ils en mettent en scène les usages possibles et les ressorts cachés. Si les prouesses de l'archer Liè-tseu sont réduites à rien par Comte Obscur, qui lui enseigne « le tir du non-archer » et l’emmène fouler le bord de l’abîme, c’est que l’auteur de cette histoire conçoit un usage de soi qui s’emploie à saper l’image moralisée du corps produite par la conjonction de l’éducation rituelle et de la discipline guerrière. Ecrits à l’époque des Royaumes Combattants (Ve -IIIe siècles avant notre ère), les premiers textes taoïstes, le Tchouang-tseu et le Liè-tseu, mettent en scène les figures les plus admirées et les plus détestées de la société chinoise ancienne : dans ces pages le lecteur rencontre, entre autres, un ancien condamné amputé pour ses crimes, un ermite malicieux, un premier ministre matois et complotant ou le maussade et concupiscent seigneur de Wei. Comment l’ethos taoïste parvient-il à discourir du sage en se dispensant de notions morales, en pensant la sagesse comme un régime de puissance, en l’associant à l’ampleur de l’espace, au travail de l’imagination, à l’oeuvre du Ciel ? Par un paradoxe qui n’est qu’un effet de surface, ce sont les corps infirmes, les créatures informes, les êtres hideux et infâmes qui jouissent d’une affinité de fond avec le Tao, le Principe qui régit le cours des êtres et des choses. Etrange et enrichissante pour le lecteur occidental, la réflexion des auteurs taoïstes sur le corps se situe dans une perspective d’intériorisation nourricière des souffles vitaux, à l’opposé de l’idéal olympique. Elle est dans ce livre brillamment éclairée.
Professeur en études chinoises à l'école normale supérieure de Lyon depuis 2009, rédacteur en chef de la revue Extrême-Orient Extrême-Occident, Romain Graziani a notamment publié Fictions philosophiques du Tchouang-tseu (Gallimard 2006), Amor Fati (poésie, José Corti, 1997), Mues indigènes (poésie, Fata Morgana, 2002), L’homme qui voulait naître moi (Fata Morgana, 2004), Legs du bègue (récit, Bibliothèque du Lion, 2005).
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