Nouveau départ
Nouveau départ
Ayim, May  
Lamy, Lucie (Traduit par) 
Rossignol, Jean-Philippe (Traduit par) 
Gay, Amandine (Postface de) 
  • Éditeur : Ypsilon
  • Collection : Contre-attaque
  • EAN : 9782356541222
  • Code Dimedia : 000235298
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Littérature - Essai / Critique
  • Pages : 168
  • Prix : 31,95 $
  • Paru le 6 novembre 2023
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EAN: 9782356541222

« Je suis une écrivaine Noire dans une Allemagne qui se voudrait blanche, et je ressens sans cesse le besoin d’exprimer, de faire évoluer les manières de voir le racisme, le sexisme et l’identité. […] Écrire depuis les marges ne signifie pas écrire sur une seule chose, mais écrire sur les choses dans leur ensemble. » May Ayim

Les écrits d'intervention et de réflexion de May Ayim – autrice du recueil de poèmes blues en noir et blanc – mêlent récit intime, convictions politiques et faits historiques, dressant un état des lieux de la situation raciste dans l’Allemagne réunifiée qui a marqué à jamais les études postcoloniales allemandes.

Extrait

« Le pays de mon père est le Ghana, la langue de ma mère est l’allemand, je ne suis chez moi que dans mes chaussures. »

EXTRAIT


L’ANNÉE 1990
Perspective afro-allemande sur la patrie et l’unité
 
Les deux dernières années ont été pour moi empreintes d’évolutions et de changements fulgurants, sur le plan politique tout autant que personnel.
 
Je remonte le fil de mes pensées jusqu’à la fin de l’année 1989, je fais défiler l’année 1990, les troubles et les contradictions, les nouveaux départs et les coups d’arrêt, les souvenirs refoulés, les découvertes.
 
À l’époque, j’évoluais comme dans une barque chancelante. J’étais si occupée à ne pas m’échouer dans les strates du temps qu’il m’était à peine possible de distinguer autour de moi les événements et de les comprendre. A posteriori, je continue de n’avoir qu’une vision floue de certaines choses, mais le recul me permet de discerner le reste beaucoup plus nettement. Il me semble qu’avant d’être démoli, le mur entre les deux États allemands avait projeté très loin son ombre minérale, jusque dans les têtes de celles et ceux qui s’en étaient enveloppé, orné, accommodé – jusque dans nos cerveaux Est-Ouest. Les gens des deux parties de l’Allemagne se sont retrouvés comme des jumeaux qui sont au courant qu’ils ont les mêmes parents mais qui ont vécu séparément depuis leur naissance.
 
[…].
 
L’ensemble des médias a parlé de frères et sœurs germano- allemandes, d’unité et de réunification, de solidarité et d’humanité… Oui, même des termes comme « patrie », « peuple » et « nation » se sont retrouvés soudain – à nouveau – dans toutes les bouches. Des mots circulaient qui, depuis l’Holocauste, avaient été employés avec une grande prudence dans les deux parties de l’Allemagne (quand ils n’avaient pas été proscrits), et qui n’avaient joui qu’à l’extrême droite d’une popularité ininterrompue. Les temps changent, les gens aussi. Peut-être qu’au fil des temps, les questions changent à peine et les réponses des gens encore moins.
 
L’enthousiasme des premières retrouvailles s’est effrité à une vitesse inattendue, et le semblant d’homogénéité artificiellement rétabli fut bientôt asphyxié par la chape résistante, cousue main, du chauvinisme libéral. Mais avant cela, dans tout le pays, on a brandi en chœur des fanions et des drapeaux, on a exhibé des blousons, des t-shirts et des autocollants à l’effigie de l’Allemagne. En novembre 1989, j’ai été surprise de voir avec quelle vitesse et dans quelles proportions les marchandises noir-rouge-jaune les plus variées inondèrent les magasins et même les brocantes, des produits qui suscitaient l’engouement général, et j’étais incapable de m’expliquer ce qui était en train de se produire dans les tréfonds des têtes et des cœurs. Le fardeau collectif de la culpabilité blanche germano- chrétienne s’était apparemment évaporé du jour au lendemain, affranchissant le présent du passé. Qui achetait ces produits? Qui produisait la nouvelle liberté à vendre? Et pour qui, pour combien de personnes y avait-il de place dans cette nouvelle patrie glorifiée? Qui s’épanchait là en accolades germano-allemandes? Qui était pris dans les bras, instrumentalisé, rejeté? Qui l’était pour la première fois, une fois encore, depuis toujours?
 
[…].
 
Quand le mur est tombé, beaucoup se sont réjouiEs, d’autres ont été prisEs de vertiges.




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