Belle Anglaise (La)
Belle Anglaise (La)
Vie de « Perdita » Robinson
Azay, Lucien d'  
  • Éditeur : Belles Lettres (Les)
  • Collection : Hors collection
  • EAN : 9782251452975
  • Code Dimedia : 000225861
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI, SCIENCES HUMAINES & SOCIALES
  • Sujet(s) : Biographie / Récit biogra., Femmes / Féminisme, Histoire générale
  • Pages : 348
  • Prix : 40,95 $
  • Paru le 13 juin 2022
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EAN: 9782251452975

Contemporaine de W. A. Mozart, d’Élisabeth Vigée Le Brun, de William Blake, de Marie-Antoinette d’Autriche et du marquis de La Fayette, Mary Robinson fut une comédienne talentueuse, une courtisane célèbre, une icône de la mode, une écrivaine accomplie et prolixe, auteure de sept romans, une démocrate et une féministe engagée, une amante passionnée, une hôtesse généreuse, charmante et spirituelle, une fille et une mère dévouée, charitable, sensible, piquante et parfois difficile en raison de son handicap. Elle brillait surtout par son extraordinaire polyvalence et méritait les lauriers qu’elle se décernait dans la presse. Il est arrivé qu’on la compare à Marie Madeleine et aussi à Madonna (« the Queen of Pop »). Elle tenait son surnom, « Perdita », du rôle qu’elle avait interprété sur scène dans Le Conte d’hiver de William Shakespeare. À travers elle, c’est son temps et sa nation que j’ai cherché à restituer ici de manière allégorique. Mary Robinson est en somme le motif d’un tableau historique. Une sorte de Dame à la licorne.

Table des matières

Avertissement

I. Vie de Mary Robinson

II. Deux essais
I. La condition de la coquette : de la comédienne à la courtisane
II. Naissance d’une sensibilité féministe

III. Trois épisodes
A. Représentation de Perdita et Florizel le 3 décembre 1779 au théâtre de Drury Lane
B. La fuite à la recherche de Tarleton parti pour la France le 23 juillet 1783
C. Mary R., invalide, reçoit néanmoins ses amis, dont Coleridge et Godwin, dans son
cottage d’Old Windsor en décembre 1799

IV. Cinq accessoires
a. La robe « perdita »
b. Le phaéton
c. Le lit
d. La fiole de laudanum
e. Le talisman (ou token)

V. Huit portraits
1. Premier portrait de Mary Robinson par sir Joshua Reynolds (1782)
2. Second portrait par Reynolds (1783)
3. Portrait par Thomas Gainsborough (1781)
4. Portrait par George Romney (1781)
5. Portrait par John Hoppner (1782)
6. Croquis de Richard Cosway, miniaturiste du prince de Galles (vers 1781-1783)
7. Portrait de Mary Robinson dans le rôle de Rosalinde, attribué à Johan Zoffany, vers 1780
8. Dessin de profil de Mary Robinson par George Dance (1793)

VI. Brève anthologie d’extraits d’oeuvres de Mary Robinson
I. La Plage hantée
II. Extrait de Réflexions impartiales sur la présente situation de la reine de France
III. À Phaon
IV. Extrait de Vancenza ou les dangers de la crédulité
V. Extrait de La Veuve ou un Portrait des temps modernes
VI. Extrait d’Angelina
VII. Extrait de la Lettre aux femmes d’Angleterre sur l’injustice de la subordination intellectuelle
VIII. Extrait de la Lettre aux femmes d’Angleterre sur l’injustice de la subordination intellectuelle
IX. Extrait de Walsingham
X. Extrait de Le Fille naturelle
XI. Extrait de Le Fille naturelle
XII. Un matin d’été à Londres
XIII. La Mansarde du poète

VII. Sources

Extrait

Les 28 et 30 janvier et le 1er février 1782, Mary Robinson et Banastre Tarleton ont rendezvous dans l’atelier de sir Joshua Reynolds, au 47 Leicester Fields [1]; lui le matin, elle l’après-midi, comme en témoigne l’agenda du peintre. L’horaire est moins anodin qu’il n’y paraît : Reynolds réservait ses matinées aux modèles à la réputation douteuse, de façon à les faire déguerpir à l’heure du déjeuner et à ne pas avoir à les présenter à des personnalités distinguées, ce qui prouve au moins que Mary avait plus de prestige à ses yeux que le lieutenant-colonel. Mais comme il a deviné que les deux jeunes gens pourraient se plaire, il évoque distraitement et malicieusement le dashing dragoon, la coqueluche de ses dames, pendant que Mary pose; elle demande à voir cet autre portrait en cours. Tarleton y figure comme un dieu de l’Olympe dans toute sa splendeur, et j’emploie cette expression à dessein parce que ce tableau révèle, pour peu qu’on l’observe attentivement, tout l’humour de Reynolds dont les toiles comportent des canulars, rébus et sous-entendus. Décontracté, mais résolu, le pied gauche martialement posé sur un canon et le regard tourné vers la droite, l’officier de dragons s’apprête à dégainer son sabre dans le feu de l’action, un geste d’autant plus curieux que Tarleton a été amputé de l’index et du majeur de cette même main (droite), d’ailleurs fort mal peinte (l’annulaire et l’auriculaire sont disproportionnés). Vêtu d’un uniforme qui met son corps en valeur – dolman vert émeraude à col noir et boutons dorés, foulard blanc autour du cou, pantalon de nankin et bottes de cuir moulant le galbe de sa jambe (des bottes souples à revers qu’on appelle à l’écuyère) –, il est coiffé d’un superbe shako orné de plumes de cygne noir, un panache ébouriffé par une déflagration, semble-t-il. Un tableau pour le moins bruyant, où l’on entend cliqueter les éperons et cingler la cravache du héros : à l’arrière-plan, des chevaux s’ébrouent et l’on distingue aussi des bannières, de la fumée et un autre canon dressé derrière le postérieur du brûlant bellâtre (allusion grivoise à sa virilité et aux prouesses sexuelles dont il se targuait?).
 
La fois suivante, Mary s’arrange pour arriver un peu avant la séance de façon à croiser le héros quand il achève la sienne. Le lieutenant-colonel connaît la coquette de réputation; il était en Amérique quand elle brûlait les planches : le scandale de sa relation avec le prince de Galles a traversé l’Atlantique avec un tel succès qu’on a baptisé un bordel militaire de campagne de l’armée britannique « Perdita’s », à Charleston, en Caroline du Sud, après la prise de la ville au début de 1780. Dès le premier regard qu’elle échange avec ce bel homme en uniforme, l’attraction est réciproque. Il est séduit à la fois par l’imposante beauté et par la vivacité d’esprit de Mary Robinson qui lui fait grâce des simagrées auxquelles l’ont habitué les dévergondées.
 
Comme elle, Banastre Tarleton, qu’elle ne tardera pas à surnommer « Ban », est issu d’une famille de marchands et d’une ville portuaire, Liverpool, dont il a conservé l’accent. Son père possédait aussi une entreprise de navigation; mais alors que celui de Mary a échoué en Arctique, John Tarleton s’est enrichi grâce au commerce des esclaves et à ses plantations aux Indes occidentales, au point de devenir un notable liverpuldien. Banastre, son deuxième fils, né en 1754, était destiné à une carrière juridique. Il a étudié à l’université d’Oxford où, quoique de taille inférieure à la moyenne, il a surtout brillé dans les activités sportives : cricket, tennis, boxe et équitation. À la mort de son père en 1773, l’athlète entre en possession de son héritage, renonce à ses études et part pour Londres où il entame une carrière de barrister (avocat plaidant) à Middle Temple. Les plaisirs de la capitale le captivent autant qu’ils ont captivé Thomas Robinson. Au Cocoa Tree Club, Banastre mène une vie de man of pleasure, autrement dit de patachon; il contracte tellement de dettes de jeu qu’il ne lui reste que la fuite à l’étranger en dernier recours. Sa mère lui achète un brevet d’officier (cornette) dans un régiment de Dragoon Guards, le lendemain de la déclaration de la Guerre d’indépendance américaine, à Lexington. En poste au Nouveau Monde, il est promu lieutenant-colonel, dès 1778, dans la toute nouvelle Légion britannique, les futurs « dragons verts de Tarleton ». Fin stratège, il se distingue par la rapidité et l’audace de ses charges, et par ses coups de sabre, qui terrorisent les rebelles. Hors des champs de bataille, sa passion pour les gourgandines, le jeu et le théâtre achève de forger sa mauvaise réputation. Il anticipe Anatole Kouraguine, le personnage de La Guerre et la Paix de Tolstoï, ayant comme lui « l’habitude, lorsqu’il se trouve dans la société des femmes, de se poser en homme blasé et fatigué de leurs avances; mais, en voyant l’impression qu’il produit sur celles-ci, il ne peut s’empêcher d’éprouver une véritable satisfaction d’amour-propre ». Impétueux, téméraire, mais enclin à la forfanterie, Tarleton se vante de ses exploits et des éloges de son commandant, Lord Cornwallis, dans sa correspondance. Ses dettes de jeu ne cessent pas de s’accumuler pour autant. Sa mère le renfloue et le fils prodigue et volage promet de ne plus recommencer, mais ses frères et sœurs craignent qu’il ne ruine la famille.
 
La Guerre d’indépendance n’est officiellement pas finie, mais Tarleton a été libéré sur parole à Yorktown, en même temps que le général Lake, en échange de prisonniers américains. Les deux hommes ont fait une entrée triomphale à leur retour à Londres et le prince de Galles les a aussitôt incorporés dans son cercle de jeu et de beuverie. À Liverpool, quelques semaines plus tard, le héros du pays est acclamé par la foule; il tire parti de sa mutilation de guerre pour séduire aussi bien les femmes que ses potentiels électeurs, car il envisage une reconversion dans la politique. Débarquant en trombe dans les boudoirs à l’instar d’un renard dans un poulailler, il vole dans les plumes des demi-mondaines avant de se faire plumer à son tour dans les salles de jeu. « Tarleton se flatte d’avoir massacré plus d’hommes et couché avec plus de femmes que personne à l’armée », écrivit Horace Walpole. Aux yeux de Sheridan, qui détestait ce matamore machiste, « coucher » était un euphémisme : « [Walpole] aurait dû dire “violer”. Le viol est le repos du meurtrier. » [I. VIE DE MARY ROBINSON]




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