Contre le théâtre politique
Contre le théâtre politique
Neveux, Olivier  
  • Éditeur : Fabrique (La)
  • Collection : La Fabrique
  • EAN : 9782358721738
  • Code Dimedia : 000182884
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI, SCIENCES HUMAINES & SOCIALES
  • Sujet(s) : Engagement / Citoyenneté, Littérature - Essai / Critique, Politique, Théâtre - Pièce
  • Pages : 216
  • Prix : 25,95 $
  • Paru le 21 mai 2019
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EAN: 9782358721738

Comment donc permettre à l’art et, en l’occurrence, au théâtre d’être autre chose que l’auxiliaire de la domination lorsque, précisément, la domination désormais lui enjoint de « s’engager » ? Car, y compris de la part de l’État (avec lequel il entretient de longue date un rapport organique), il est partout encouragé à le faire. Le théâtre doit prendre part à la réconciliation sociale, porter haut les valeurs occidentales, attester la liberté d’expression, semer doutes et questions mais aussi démontrer que notre République répressive connaît encore quelques ostentatoires poches critiques... Il lui faut, ses « tutelles » l’y encouragent, « activer » le spectateur, c’est là son destin et la raison de sa subvention. Il ne saurait être indifférent au monde ni, pire, inutile.

Si toutes les oeuvres ne répondent pas à cette injonction, si beaucoup même en refusent l’orientation, les effets de cet « impératif politique » sont spectaculaires dans le champ de la pratique et de la production théâtrales. Cette dernière cependant se limite bien souvent à de très générales et consensuelles exhortations. D’où quelques contradictions, rarement vécues comme telles : on célèbre Mai 68 à l’Odéon tandis que les flics gazent au dehors, à la demande du théâtre, les manifestants de Mai 18 ; on convoque la police à Saint-Denis pour protéger l’exhibition d’un spectacle « antiraciste » de la critique de militants eux-mêmes antiracistes ; on est « rempart à la Barbarie » tout en s’intégrant à la saison « France Israël », etc.

De cet état des lieux naissent trois interrogations : 1. Les raisons de cette omniprésence de la « politique » ; 2. ses effets et notamment la façon dont s’intériorise la légitimation de l’art par la politique ; 3. sa signification dans un processus bien plus vaste d’attaques contre la consistance même de la politique. 

L’inflation de spectacles — notamment documentaires — interroge. Ne se fonde-t-elle pas, en grande partie, sur une confusion entre « pédagogie » et « politique », « naturalisme » et « réalisme », « aliénation » et « oppression », sur un paternalisme de l’adresse, un conformisme des affects et sur une très intemporelle définition de l’activité politique ? Que penser, en effet, de sa conception sousjacente qui n’appréhende bien souvent le « populaire » qu’à l’aune de critères statistiques et « l’analyse concrète des situations concrètes » qu’en sociologue ?

Il faut alors formuler une hypothèse : ni le théâtre ni la politique ne sont assez pris au sérieux. Ils sont seulement juxtaposés, l’un réduit au constat (fiévreux ou clinique) de ce qui est, l’autre assimilé à un mode de communication parmi d’autres.

Quelques spectacles saillants aujourd’hui (de Maguy Marin, Adeline Rosenstein, Milo Rau, et d’autres encore, etc.) démontrent qu’il n’y a là nulle fatalité à la condition, toutefois, que la mise en rapport des deux termes, théâtre et politique, soit autrement embarrassante, conflictuelle, perturbée, déséquilibrée qu’elle ne l’est le plus souvent. C’est au prix d’un travail sur les contradictions historiques de cette association qu’elle peut s’arracher à sa réification. Il s’agit, in fine, de changer de prisme, sans rien cependant concéder aux tenants de l’idéologie esthétique : et si l’art, après avoir été tant et tant et parfois magnifiquement, inspiré par la politique venait, à son tour, initier, aggraver, suggérer quelques radicalités insoupçonnées et participer alors, en tant que tel, avec ses moyens propres, au mouvement actuel qui abolit l’ordre existant ?

AUTEUR(S)

Olivier Neveux est professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’université Lumière Lyon-2. Il est notamment l’auteur de Politiques du spectateur (2013).




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