Hypothèse communiste (L')
Hypothèse communiste (L')
Circonstances, 5
Badiou, Alain  
  • Éditeur : Nouvelles Éditions Lignes
  • Collection : Lignes
  • EAN : 9782355260254
  • Code Dimedia : 64626025
  • Format : Broché
  • Pages : 208
  • Prix : 27,95 $
  • Paru le 6 avril 2009
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EAN: 9782355260254

« L’hypothèse communiste revient à dire que le devenir de l’humanité n’est pas condamné à la domination planétaire du capitalisme, aux inégalités monstrueuses qui l’accompagnent, à l’obscène division du travail et à la « démocratie » qui est, de tout cela, le concentré étatique, organisant en fait le pouvoir sans partage d’une oligarchie très étroite. »

Dans mon livre De quoi Sarkozy est-il le nom ?, j’ai proposé d’appeler « hypothèse communiste » ce qui a animé, de la Révolution française aux années quatre-vingt du XXe siècle, les politiques révolutionnaires, ou politiques d’émancipation. Cette appellation concerne quelques principes. Certains sont négatifs : la conviction qu’on ne saurait confier l’organisation de la société à la concurrence des égoïsmes, et que donc la propriété privée doit être sévèrement limitée. Ou : l’État, puissance répressive extérieure, est appelé à disparaître. Ou encore : il convient de faire cesser toute opposition sociale entre le travail intellectuel et le travail manuel. D’autres principes sont quant à eux positifs : un seul monde des humains vivants doit se substituer à la fermeture des territoires. Ou : l’égalité est la seule maxime fondamentale de toute politique. Ou encore : la figure créatrice du travail exige la polyvalence de tous en lieu et place de la division et de la spécialisation.
Le jugement que la Restauration politique rampante a imposé depuis trente ans est que toutes les tentatives de réalisation des principes que résume l’hypothèse communiste se sont soldées par de tragiques échecs, et que l’hypothèse est donc invalidée par l’Histoire. De là qu’il faudrait se résigner, comme au moindre mal, à l’économie de marché, à une démocratie élective rabougrie, à la pérennité des inégalités, à d’innombrables guerres sordides, et finalement à l’insignifiance de la vie. On pourrait sur ce point remarquer que le capitalisme, même si on considère les choses en gros, n’a nullement fait la preuve qu’il était un « moindre mal ». Pour quelques séquences (jamais plus de vingt-cinq ans) d’une prospérité localisée qui ressemble fort à un gaspillage irrationnel, du reste très chèrement payée dans les zones (les plus nombreuses, les plus peuplées) où cette prospérité et ce gaspillage n’existent pas, que de guerres atroces, que de pillages, que de répressions féroces ! Que de crises où disparaissent des quantités inimaginables de valeur ! Que de stupidité dans une conception enchaînée et dérisoire de l’existence !

Si le communisme a été jugé sur quelques années d’expérience tâtonnante et encerclée, le capitalisme, lui, peut être évalué sur plusieurs siècles de domination installée. Si sanglantes et coûteuses qu’aient été les expériences se réclamant du communisme, elles ne sauraient être comparées aux destructions immenses, aux massacres irréversibles, aux désespoirs et aux abaissements auxquels a conduit le capitalisme, non pas même au service d’une idée, mais uniquement pour pouvoir continuer à étendre et sa rapine de gangster huppé, et sa mécanique et vaine proposition marchande. L’hypothèse communiste en est encore, historiquement, à ses tous débuts. S’agissant en revanche de l’antique capitalisme, le verdict, solidement étayé, me semble aller de soi : inacceptable, il doit être détruit.

Ce livre, toutefois, s’il lui accorde quelques pages, n’est pas centré sur une approche critique. Il envisage directement la fameuse « preuve » historique de « l’échec » du communisme. Sur trois exemples caractéristiques d’un tel échec – la Commune de Paris, la Révolution culturelle et Mai 68 –, il interroge en son fond la notion même d’échec. Il conclut que pas plus en matière de politique qu’en matière de science, l’échec local d’une tentative ne peut supprimer le problème dont elle proposait une solution. L’expérimentation historique des politiques est toujours ce à partir de quoi – si bien entendu on ne cède pas à l’obscurantisme du genre « ça ne marche pas, revenons aux vieilles formules oppressives » – on peut inventer de nouvelles solutions aux problèmes sur lesquels cette expérimentation a buté.

Le travail politique est intellectuellement minutieux et difficile. Le capitalisme et sa « démocratie » de surface, c’est ce qui est vieux, c’est ce qui est condamné, c’est le renoncement à penser, le renoncement à agir selon les principes d’une pensée. C’est l’hypothèse communiste, quel que soit le nom qu’on lui donne (émancipation, égalité…), qui est nouvelle et légitime.

Nous n’y renoncerons pas.




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