Bâtisseurs d'empires
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La bataille d’Ulan Butong en 1690 oppose dix mille Zhungars (trente mille suivant d’autres sources) à deux armées Mandchous (soit cinq mille hommes) ; le siège de Gingee par les Moghols implique environ 40000 soldats, des dizaines de milliers de chevaux et de dromadaires et des centaines d’éléphants.
Ces affrontements ont lieu à des centaines, parfois des milliers de kilomètres des villes et des pâturages. Dans les steppes d’Asie centrale autant qu’en Inde, l’alimentation des chevaux et des hommes est tout aussi importante que la qualité des sabres. D’où venaient donc les approvisionnements nécessaires? Les steppes ne sont-elles pas synonyme de territoire désertiques et de populations nomades ? Et l’Inde que nous décrivons toujours surpeuplée e sous-alimentée où trouvait-elle, en 1690, ces immenses ressources ? Le point de départ et le fil rouge de cet ouvrage est donc tout simple : l’approvisionnement des armées dans les steppes et lors des sièges dans des régions périphériques.
De quelle manière les Russes, les Chinois et les Moghols ont, chacun à sa manière, réglé ce problème ? Dans l’édification des Empires eurasiatiques, la lutte pour les chevaux est impitoyable. Chinois, russes et Moghols vont s’affronter entre eux et avec les peuples des steppes, les éleveurs mongols. Qui parmi les Chinois, les Russes et les Moghols aura mieux réussi dans ces opérations et pour quelles raisons ? Au-delà, l’organisation militaire exige une discipline, une administration fiscale et un système de recrutement.
Ce dernier peut avoir comme cible des mercenaires, des élites guerrières, des cavaliers nobles, des soldats paysans. En Inde des guerriers ascètes combattent à côté de paysans affamés et des cavaliers Rajputs ; dans les steppes d’Asie centrale, les cosaques déferlent à côté des Nogays, véritables nomades et de paysans russes cachés derrière les fortifications en bois ; en Chine enfin, ou plutôt dans sa partie nord-occidentale ; des paysans han, des criminels ordinaires et des guerriers mandchous organisés en bannières sont confrontés aux hordes Zunghars (mongoles oirats).
Tous doivent être rémunérés alors même que leur emploi détourne des ressources monétaires, alimentaires et des bras d’autres occupations. Tout l’équilibre social est concerné. Les formes du recrutement et de la gestion des soldats, leurs équipements et approvisionnements s’ancrent dans le tissu social, dans les formes des institutions politiques et, bien entendu, dépendent de l’accès aux ressources disponibles.
Les relations entre paysans, seigneurs, soldats et administration règlent cette architecture complexe. Et le sort de ces trois empires immenses, les systèmes socio-économiques sur lesquels ils reposent, ne sont pas anecdotiques ; ce sont eux qui dominent le monde à une époque où personne n’aurait misé sur la suprématie mondiale de l’Europe. Jusqu’en 1789, quand l’Angleterre vient juste d’occuper le Bengale, l’Asie a encore de l’avance.
Pourtant, un siècle plus tard, cette hiérarchie aura été complètement bouleversée ; l’Occident domine la planète. Alessandro Stanziani, auteur majeur du changement de perspective propre à l’histoire globale, explique dans ce livre ce prodigieux retournement, qu’a oublié l’histoire racontée par ceux qui connaissent la suite de l’histoire. Cette hiérarchie a été bouleversée, mais pour combien de temps ?
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