

Face nord de Juliau (La)
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1980, Nicolas Pesquès ouvre son carnet, nous sommes le 2
août, nous sommes en Ardèche, face à une colline. Plus précisément,
devant la face nord de cette colline. Cette colline s’appelle Juliau,
elle mesure 552 mètres. Nicolas Pesquès ouvre son carnet, ou plutôt son
chemin : l’aventure commence. L’aventure ? Celle de l’écriture « sur le
motif », à la manière de Paul Cézanne devant la Sainte-Victoire. A ceci
près que le chemin des mots excède l’espace rectangulaire de la toile du
peintre. L’espace de la page est un chemin qui occupe à la fois
l’extérieur et l’intérieur, le motif et sa dispersion, le cap et la
dérive. Juliau se fait ainsi pendant plus de quatre décennies le
laboratoire poétique de la présence de la colline tout autant que de son
prétexte. Journal autant que poème, ce qui compte ici n’est pas la
forme, pas plus finalement que le débordement biographique ou la
description du paysage, c’est l’expérience de la pensée qui glisse,
bifurque, interroge, perçoit, se faisant se transforme, tour à tour
sensation, prise légère, évocation. La colline est mouvante, le langage
ne peut s’en saisir. Année après année, Nicolas Pesquès remet l’ouvrage
sur le métier, face à Juliau, tente d’en capter la présence, d’en
mesurer le caractère inépuisable, et la question alors s’étend au
langage : quelle serait sa limite ? L’écrivain pousse l’écriture au
maximum de sa plasticité, requiert tous ses moyens pour accompagner la
variation de ce motif immuable. Juliau est une aventure tout aussi
visuelle qui temporelle, qui ouvre « l’espace d’une émotion en partage
», comme le souligne Yannick Mercoyrol dans sa préface
lumineuse, et d’ajouter dans un beau paradoxe que chez Nicolas Pesquès «
le poème est une balle perdue d’extrême précision ».
La face nord de Juliau est une œuvre unique dans le
paysage littéraire contemporain, aussi précise qu’audacieuse, aussi
exigeante que libre, tour à tour pensive et sensuelle. C’est un livre
qui se pense à mesure qu’il se fait, et se fait à mesure qu’il se pense,
dans une réversibilité qui renvoie à celle du regard de l’écrivain sur
la colline qui le lui renvoie chargé de couleurs, le vert de la
végétation, le jaune des genêts, jusqu’au surgissement du « surjaune »
dans ce poème qui se rêve forme et couleur à l’infini. Car à écrire,
Nicolas Pesquès n’épuise rien, bien au contraire, « il y a toujours plus
de langue, et toujours plus de colline ».
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