
Un pays en commun
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Simone Weil disait que l’enracinement est le bien le plus précieux de l’âme. Notre monde, pourtant, souffre du déracinement. Le libéralisme individualiste et amoral et le capitalisme globalisé et apatride laissent chacun seul en face des marchés et des organisations où il devra performer. Depuis le discrédit du marxisme officiel, la gauche a abandonné tout projet de transformation globale de la société, s’attaquant plutôt aux formes d’exclusion et aux limites entravant l’expression de la singularité. La droite et même l’extrême-droite ont repris le terrain délaissé par la gauche : c’est aujourd’hui chez les néo-conservateurs et les Front National de ce monde que l’on trouve la défense la plus forte de la souveraineté et du commun contre la mondialisation. Horrifiée par ces néo-communautarismes, la gauche cherche à tout prix à se distancier de « l’identitaire » honni et assimilé au racisme et à la xénophobie. Le débat politique spectaculaire est ainsi verrouillé entre libéraux multiculturels ou ceux qu’on considère xénophobes-suspects.
En France, certaines initiatives remettent de l’avant la pensée de la commune (Comité invisible), du Commun (Dardot et Laval), voire même du « souverainisme de gauche » et de la république sociale (Lordon). On renoue aussi avec une perspective institutionnaliste absente depuis Castoriadis. Or, il existe au Québec une riche tradition de réflexion sur l’articulation entre émancipation sociale et souveraineté qui mérite d’être remobilisée : Hubert Aquin, Marcel Rioux, Pierre Vadeboncoeur, Fernand Dumont, Michel Freitag, Parti Pris et d’autres invitent à penser ensemble socialisme décolonisateur, indépendance et laïcité dans une perspective humaniste. Étrangement, ces idées sont absentes des débats actuels, qui nous laissent avec l’économie sociale, l’autonomisme de la CAQ et de sempiternels débats sur le voile.
Remobiliser aujourd’hui le triptyque socialisme-indépendance-laïcité dans une perspective institutionnaliste permettrait de faire accéder la jeunesse à une autre lecture que les approches individualistes ou néo-conservatrices réifiées. De cesser de confondre « l’identitaire » méchant avec l’identité, la nation avec le nationalisme chauvin, etc. Si les premiers sont certes à refuser, les deuxièmes sont des réalités sociologiques qui n’ont pas disparu bien qu’on travaille fort à leur oubli dans l’imaginaire. Or, nous ne sommes pas rien, et si nous voulons éviter de le devenir, il faut vite réarticuler contre le capitalisme globalisé un projet de république sociale, indépendante, écologiste et laïque au Québec, projet que promeut et expose avec brio Eric Martin dans ce livre qui risque de susciter quelques remous. C’est Gaston Miron qui disait : « Nous ne serons jamais plus des hommes si nos yeux se vident de leur mémoire. »
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