Tiroir no 24
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Pourquoi l’ont-ils choisi, lui? Il ne saura jamais. Peut-être parce qu’il aime chanter et qu’il a une belle voix. Certainement pas à cause de sa tignasse rousse, qui brille comme du cuivre quand sœur Dionne l’enduit de lotion avant de la peigner. Il était le Tiroir numéro 24, celui qui lui était réservé à l’orphelinat. Il sera désormais le gars des Cyr. Un enfant adopté. Il a six ans. C’est juste avant l’Expo 67.
Pendant dix ans, il travaille à la Boulange, l’entreprise familiale, rue Rachel, où on vend du pain fait ailleurs mais où on décore les gâteaux pour Pâques, l’Halloween ou la Saint-Valentin. Puis c’est la catastrophe.
Le père tombe malade et la Boulange ferme ses portes. Les temps changent : le lapin aux pruneaux, le céleri rémoulade et les nouilles d’Alsace remplacent les gâteaux moka, les pains Weston et les pâtés au saumon. Il va travailler pour le traiteur qui vient d’ouvrir ses portes de l’autre côté de la rue. C’est la trahison. Mais pouvait-on attendre autre chose d’une engeance comme lui? Après tout, ce n’est pas le sang des Cyr qui coule dans ses veines.
Avec ce style d’une grande sobriété qui est le sien, Michael Delisle sait évoquer toute la part de mystère qui se cache dans chaque destin. À travers l’errance du gars des Cyr, c’est une étape charnière de la conscience québécoise qu’il nous fait revivre. Le passage de la tradition à la modernité, qui cache bien des périls.
Michael Delisle est poète, romancier et nouvelliste. Ses œuvres ont été couronnées par plusieurs prix, dont le prix Émile-Nelligan pour Fontainebleau (1987) et le prix Adrienne-Choquette pour Le Sort de fille (2005), aussi finaliste pour le Prix du Gouverneur général.
NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.
