Raison, déraison et religion
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Quel rapport devons-nous entretenir à l’égard de la religion? Comment devons-nous envisager la cohabitation des non-croyants avec le phénomène religieux? La religion est-elle compatible avec un esprit résolument moderne? Peut-on aménager un espace de dialogue communément partagé avec les différentes religions? Est-ce que la réalité internationale s’y prête?
Telles sont les questions qui se posent depuis toujours, mais qui acquièrent une nouvelle acuité dans le contexte du retour de la religion dans les discussions politiques depuis le début du XXIe siècle. Dans cet ouvrage, Michel Seymour s’engage dans une investigation philosophique riche et dense, mais toujours lisible, en mettant en relief la difficulté que nous avons d’aménager dans l’espace politique un rapport harmonieux entre les croyants et les incroyants. Cette difficulté est d’autant plus grande qu’elle se trouve entravée par la montée de l’islamophobie en Occident ainsi que par des législations restrictives visant le port du foulard islamique dans la fonction publique, comme l'actuelle loi 21 au Québec.
Trouvant inspiration chez des auteurs aussi différents que Charles Taylor, Ludwig Wittgenstein et John Rawls, Seymour examine notre rapport à la religion à partir de trois angles différents : le passage de la tradition à la modernité, l’aménagement d’un espace laïque dans le contexte d’une société unique et une réflexion sur les relations internationales élaborée dans la perspective du droit des peuples. La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la discussion des objections possibles, en revenant notamment sur des événements ou des débats qui ont cours dans nos sociétés.
Seymour s'attarde en particulier à la querelle entourant le port du foulard islamique en France et au Québec. Selon lui, on ne voit pas que certains vivent leur foi dans des pratiques ethnoculturelles, que le port du foulard est l’une de ces pratiques et qu’il fait partie de l’identité des personnes pour cette raison. Au lieu d’amalgamer la religion pratiquée en groupes ethnoculturels à du « communautarisme », il faut se sortir de notre ethnocentrisme et reconnaître l’importance des groupes: le fait qu’ils puissent être des sources de revendications morales valides et le fait qu’ils puissent jouer un rôle dans l’identité des personnes. De la même manière, pour contrer la thèse du choc des civilisations de Samuel Huntington, il faut respecter à l’échelle internationale l’existence d’États souverains prenant la forme de communautés morales qui adoptent une conception de la neutralité et du principe de séparation de la religion et de l'État qui diffère sensiblement de la conception « occidentale » .
Le philosophe à la retraite revient également sur les attentats sordides qui ont frappé la France cet automne, comme celui du professeur Samuel Paty qui a été décapité en pleine rue. En réaction à ce meurtre insensé, rappelons que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est attaqué à l’« islamo-gauchisme » qui sévirait selon lui dans les universités françaises. Michel Seymour commente ainsi la « lettre déconcertante », signée par plusieurs centaines de professeur.e.s et d'intellectuel.le.s français, qui a été publiée en appui aux propos du ministre Blanquer.
« Alors, en fin de compte, suis-je Samuel Paty? se demande Michel Seymour en conclusion. En un sens oui, car il s’agit d’un être humain qui, de surcroît, est un cousin français. Je m’identifie cependant pleinement seulement à ceux qui, en classe, savent faire la part des choses et savent distinguer les caricatures dénonçant les dérives de l’islam de celles qui sont irrespectueuses et qui visent agressivement cette religion en sachant très bien qu’ils s’en prennent de cette façon aux musulmans eux-mêmes. »
Raison, déraison et religion propose des avenues nouvelles de réflexion qui pourraient s’avérer utiles pour dépasser le manichéisme et les réflexes anciens d’exclusion, à l’origine des escalades de tensions et de violences meurtrières.
Michel Seymour est un professeur retraité du département de philosophie à l’Université de Montréal, où il a enseigné de 1990 à 2019.
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