
Printemps dans ce monde de pauvres cabots (Le)
|
Qui est Joseph Ceravolo? La question monte doucement à la lecture des poèmes du Printemps dans ce monde de pauvres cabots, paru en 1968, et qui ne cesse de surprendre le lecteur avec une douceur fraternelle. La question monte et se résout d’elle-même au fil de ces textes d’avant crépuscule, qui collectent les environnements quotidiens, la vie naturelle à la lisière de l’urbain, les jours d’été sur la plage, les frelons et les oiseaux, les canards et les faons, en une suite d’adresses discrètes aux amis, aux enfants, aux être aimés. Quand Ceravolo ouvre la fenêtre, ce n’est pas tant pour regarder dehors que pour faire entrer le monde, « Je voudrais être parmi toutes ces choses qui éclosent » dit-il, son écriture d’un lyrisme direct et paisible se tient sur une ligne de clarté, et parvient à l’éclosion par une réduction du poème en une solution de ciel, de lumière et de mer qui produit une essence du bonheur, une joie de paradis. Le chant est bien un « éclat chimique », et l’on sent un attachement à l’invisible, une sensibilité au zen, une amitié aux peuples premiers, aux saisons, une façon de toucher à la spiritualité grâce à une métaphysique du moment. Ceravolo déploie dans le chant des grillons, le passage des voitures sur la route, les balançoires dans le parc, les chiens qui disparaissent au loin et les paysages du New Jersey une forme d’éternité d’être là tout en laissant passer le temps. Rivières, animaux, éléments et saisons, tous réunis par un lien qui tient dans le mystère et la simplicité du regard, qui serait soi et ailleurs que soi. La focale poétique est ici grande ouverte, et la langue nous paraît dans un même mouvement novatrice et familière, pleine de surprises syntaxiques, de détournements, d’élisions et de juxtapositions lumineuses où le jour apparaît « comme verre éclaboussé ». Qui est Joseph Ceravolo? Un poète qui a conscience d’être une « partie de cette route de la matière » de l’existence, qui sait que « nous sommes mortels, nous faisons un tour de manège », et qui, tel un enfant trouvant de nouveaux jouets chaque matin, résout avec une grâce discrète et éblouie la question du glissement des corps et de la migration de l’âme.
Joseph Ceravolo est née en 1934 dans le Queens, à New York. Fils d’immigrés italiens venus de Calabre, il fréquente les poètes de la New York School (il étudie un temps la poésie avec Kenneth Koch et se lie d’amitié avec John Ashbery et Ted Berrigan, qui seront ses premiers éditeurs). D’un tempérament solitaire, il mène son œuvre à l’écart des courants de l’époque. Son écriture, audacieuse et libre, s'enracine dans un lyrisme très physique, au sens antique, très élémentaire, qui chante les arbres en fleurs, la corrosion, ses enfants à la plage, les caribous, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, le beau ciel vert et doux ou les enzymes, dans une langue tout à la fois classique et moderne, étrange et familière. Il écrit ses premiers poèmes lors de son service dans l’armée américaine, durant ses tours de garde nocturnes dans une base militaire en Allemagne en 1957, et décroche un diplôme d’ingénieur du génie civil au City College de New York en 1959. Son premier livre, Fits of Dawn paraît en 1965, suivi de Wild Flowers Out of Gas en 1967, puis de son livre majeur, Le Printemps dans ce monde de pauvres cabots, en 1968, lauréat du 1er prix Frank O'Hara. Suivront trois autres recueils écrits en parallèle de sa vie d’ingénieur hydraulique et de père de famille heureux (il élève trois enfants avec son épouse Rosemary), ainsi qu’un manuscrit retrouvé à sa mort en 1988. Tombée dans l’oubli, son œuvre est rassemblée en 2013 sous le titre Collected Poems, ce qui lui donne un nouvel écho aux États-Unis et souligne à quel point, selon son éditeur : « telle une rivière souterraine, les étonnants poèmes de Joseph Ceravolo ont nourri la poésie américaine pendant cinquante ans, une présence profondément ressentie mais largement invisible. »
NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.