Journal de confinement bourgeois
Journal de confinement bourgeois
Talen, Gran  
Martineau, Poncho (Dessins de) 
  • Éditeur : Hurlantes
  • Collection : Fictions
  • EAN : 9782925304029
  • Code Dimedia : 000230898
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Littérature québécoise
  • Pages : 128
  • Prix : 24,95 $
  • Paru le 17 avril 2023
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EAN: 9782925304029

Le personnage de Gran Talen sévit sur Facebook depuis 2012 et donne dans ce que l’on pourrait qualifier de caricature littéraire 2.0. Jonglant avec une langue qui emprunte autant au Faubourg Saint-Germain qu’au Couche-Tard de Joliette, celui qui s’affuble lui-même du titre de Sol des pauvres se déconfine enfin du Net le temps d’un roman, son premier, dans lequel l’humour noir (ou brun) taquine la noblesse sur fond de pandémie mondiale.
 
Parodie à mi-chemin entre le Marquis de Sade et le pire cauchemar de Denise Bombardier, tantôt journal de confinement, tantôt récit de sodomites, cet ouvrage exhibe les mémoires de Margot et Sergio, deux bourgeois décomplexés qui errent dans leurs lubies, cloîtrés dans un énorme manoir en compagnie de leurs domestiques et d’une brochette d’invités qui ne gagnent pas toujours à être connus, dont la COVID.
 
« Si le désespoir est la maladie de notre temps, Gran Talen en est un des boutons. Un bouton hilare et disgracieux, un vrai clou de fesse qui pique, qui nous dit malgré la pub, malgré les discours ronflants, que ça ne va pas (…) ». – Matthieu Dugal

Extrait

IV
Margot


Ma séance matinale de Pilates fut interrompue par un appel intempestif d’Héma-Québec qui m’invitait à leur donner mon sang. On aurait demandé à parler à une guenon que je n’aurais pas été plus insultée lorsque Williamson me transféra l’appel. C’est donc les abdos gorgés par l’effort que je dus expliquer au gratte-papier qu’il était hors de question que je partage une sève si pure avec la plèbe. « En temps de crise, s’il y a bien une chose qu’il faille protéger, c’est notre sérum, unique fluide qui départage l’homme de la bête, le bon grain de l’ivraie, la réussite de l’indigence. C’est d’ordinaire vrai; ça l’est encore plus quand on nage en pleine pandémie », exposai-je patiemment au téléphoniste avant de retourner à mes étirements, courroucée qu’on ait osé me distraire pour une telle bagatelle. « Le pays peut bien être en déroute, pensai-je, on confie des missions frivoles aux fonctionnaires de nos jours. Et avec l’argent de nos taxes par-dessus le marché. »
 
Je composai donc avec cette amertume et m’appliquai à poursuivre mon chemin comme tant de gens vaquent à leurs occupations malgré leur stomie, leur pied bot ou leur fente palatine, mais en vain : le reste de l’avant-midi s’éternisa et je peinai à reprendre mes activités. L’esprit n’y était plus. J’étais freinée dans mes ardeurs, incapable de m’actualiser. Si Maslow avait été là, je l’aurais assis au sommet de sa propre pyramide et aurais noué des blocs de ciment à ses pieds afin qu’il s’y empale de tout son long.
 
Sur les coups de midi, Sergio, comme prévu, rentra au bercail, l’œil fier.
— Quelle chasse ce fut! claironna-t-il dès qu’il posa le pied dans l’embrasure de la porte, suivi de Williamson dont les épaules supportaient mal le chapelet de lagopèdes qui entourait son maigre cou.
— Tant mieux pour vous, échappai-je, des trémolos dans la voix.
— Williamson, allez plumer le gibier. Ne voyez-vous donc pas que ma dame affiche une mine chagrinée?
— À vos ordres, chuchota Williamson avant de disparaître dans la cuisine d’été.
— Dites-moi, cher amour, quel est l’objet de votre cafard?
— Ce matin, ma séance de Pilates a été sauvagement interrompue par un appel d’Héma-Québec.
— Pas encore? Ça frôle le harcèlement. Que voulaient-ils?
— Rien de moins que mon sang, Sergio! Mon sang!
— Le culot de ces gredins de fonctionnaires n’a point de limites ! hurla Sergio en déposant sa carabine sur la panetière provençale.
— Cette journée est foutue… Aussi bien dormir et prier que demain se pointe dare-dare.
 
J’allais gravir les marches menant à la chambre lorsque Sergio, glissant sa main sous ma gaine, me projeta sur le plancher (chauffant, évidemment).
 
Nous fîmes l’amour ainsi, près de la commode galbée. Au loin, le cri plaintif des perdrix qui avaient échappé aux balles de Sergio se mariait aux clapotis que faisait Williamson en vidant les moins chanceuses du bouquet. Si Maslow s’était soustrait à l’empalement que j’avais fantasmé lui réserver, il semblait que je n’échapperais pas à celui de Sergio.
 
« Nous devons apprendre aux gens à faire attention à leurs propres goûts. Beaucoup ne le font pas », affirmait ce même Maslow. Eh bien, sachez que lorsque vient le temps de copuler, Sergio ne néglige pas ses propres goûts. Je dirais même qu’ils trônent au sommet de sa pyramide.




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