Parole au miroir (La)
Parole au miroir (La)
Dans la poésie grecque archaïque et classique
Grau, Donatien  
Pucci, Pietro  
  • Éditeur : Belles Lettres (Les)
  • Collection : Essais (#42)
  • EAN : 9782251453156
  • Code Dimedia : 000226879
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Histoire & critique littéraire, Littérature - Essai / Critique, Texte ancien / Grèce antique
  • Pages : 264
  • Prix : 54,95 $
  • Paru le 17 octobre 2022
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EAN: 9782251453156

Dans cette enquête au travers de la poésie grecque archaïque et classique, d’Homère à Platon, nous partons à la recherche des traces de ces moments originels de la création occidentale où la poésie, s’énonçant, se met en scène. On y découvre des figures de poètes dès les origines, une incarnation des plus profonds questionnements créateurs par les figures des muses et une parole poétique qui est en permanence à l’interface entre divinités et humanité, où les discours sont placés les uns contre les autres, dans leurs raisonnements et leurs contradictions. La poésie s’affirme comme l’espace commun du sacré et du profane, l’emplacement d’une parole autre, toujours mise en scène.

L’ensemble du corpus canonique grec – celui-là même auquel est attribué le fondement de notre civilisation – est l’objet de cet examen : l’Iliade et l’Odyssée, la Théogonie, les Hymnes homériques, la poésie lyrique, les trois grands tragiques, Eschyle, Sophocle, Euripide, après eux le comique Aristophane, donnent à voir les oscillations d’une parole qui intègre les conditions de son énonciation et les joue dans la dramatisation de son ambition. Platon assume son rôle de sceau des poètes. La référence à des auteurs antérieurs, déjà explicite dans la poésie lyrique, est omniprésente. L’intertextualité est antique.

En prenant au sérieux les textes et leurs variations, c’est à la substance même de cette parole poétique qu’il nous est donné accès.

Table des matières

Introduction
Au service des Muses dans l’Iliade
Le poète de l’Odyssée invoque les Muses
Le pouvoir des Muses chez Hésiode
Les hymnes homériques : interrogations de l’inspiration
La poésie lyrique : fragments d’identité
Eschyle et la parole sur scène
Sophocle : portraits de la douleur humaine par la poésie
Muses et doubles discours chez Euripide
Aristophane et les ambiguïtés de la conscience
Inspirations fluides chez Platon
Conclusion

Extrait

Il est de tradition, dans l’Occident moderne, de voir en l’histoire une ligne, progressive, continue, parfois interrompue, mais dont la persistance assumerait la légitimité de l’évolution vers cet endroit où nous sommes : plus avancés, plus savants, plus aguerris. Ce récit serait valable dans les sciences, dans la politique, dans la société, dans la poésie. À ce sentiment de l’histoire et des ruptures vient s’associer un souci de l’origine, du point de départ, dont nous serions à jamais séparé. Ce point de départ est souvent soit une atopie – un lieu qui n’est pas le nôtre – soit une utopie – un lieu qui n’existe pas. Et pourtant, dans les doutes de son existence, il vient fonder la nôtre.
 
Ces propos peuvent sembler bien généraux, mais ce sont eux qui, de longue date et encore maintenant, ont gouverné notre rapport aux Grecs. « Athènes, source de notre civilisation » égale en fréquence « la pureté des Spartiates ». On connaît les trois sources de l’Occident qu’avait dénombrées Paul Valéry : Jérusalem, Athènes, Rome. Notre politique trouve dans les Constitutions d’Aristote son fondement; notre médecine, chez Hippocrate; notre éthique chez Platon et Aristote ; dans la poésie archaïque et classique – à partir d’Homère, premier auteur de notre civilisation – ses formes épique, tragique, lyrique, didactique, comique. « Les Grecs ont tout inventé », la phrase est commune et a donné lieu à bon nombre de publications. Fantaisie du fondement et fantasme de l’origine ont longtemps rivalisé pour établir et interroger notre rapport au monde. Certes, les philologues n’ont cessé de rappeler que les textes sûrs n’existent pas, qu’Homère n’a jamais composé l’Iliade et encore moins l’Odyssée sous la forme des manuscrits médiévaux, que toute connaissance des textes anciens – et partant des mondes anciens – était le fruit d’une transmission. Comme l’a théorisé Michel de Certeau, l’histoire est toujours écrite au présent, et pour la philologie, comme pour l’archéologie, toutes les strates traversées dans la recherche du texte s’agrègent à lui. L’étude des textes ne peut plus être naïve, ni simplement affirmative : elle ne peut plus être simple, elle doit se faire en conscience.
 
Dans cette conscience, d’où elle se situe et partant d’où elle va, elle peut trouver sa légitimité, et peut faire jouer les modèles. L’origine et le fondement n’appartiennent pas aux mêmes conceptions : l’origine peut être lointaine, elle peut être invisible, elle peut même sembler séparée de nous ; en revanche, l’idée même de fondement signale une sorte de rapport physique. Sans l’origine, nous n’existerions pas, mais nous pouvons l’avoir oubliée, nous en être éloignée; il est même possible qu’elle soit devenue inconsciente. C’est beaucoup plus difficile pour le fondement. Les deux notions néanmoins reposent sur la proposition d’une progéniture.
 
Pour cette raison, les penseurs de la modernité et de sa critique ont entrepris de trouver dans la poésie grecque une source : dans le dithyrambe perdu, et les débuts de la tragédie, pour Nietzsche; dans les présocratiques, pour Heidegger. Il y aurait alors eu une chute – Heidegger a évolué sur le sujet – d’une forme première de la pensée à des formes secondes, se déduisant les unes des autres jusqu’aux nôtres. Toute généalogie repose ainsi sur une sorte de couple originel – les Adam et Eve du discours.
 
Cette généalogie repose sur un triple pari pascalien : le premier, c’est la connaissabilité du texte; le second, c’est la connaissabilité du monde dont ce texte est issu; le troisième tient à la relation entre le monde - et le texte - que l’on décrit et celui dans lequel nous vivons, une sorte de valeur d’usage de la connaissance philologique et historique. Ces trois paris sont aussi difficiles à tenir en rigueur les uns que les autres, s’ils ne sont pas préfacés par la reconnaissance du caractère d’essai de toute forme de discours. Le fait qu’elles reposent sur la connaissance du texte fait de celle-ci le point de départ et d’aboutissement de toute recherche. Toucher au texte, à son statut de fondement, c’est mettre en branle le caractère monumental de notre histoire. De la sorte, tenter de donner texture à cette origine textuelle permettrait de remettre en perspective toute notre poétique, et, par association, notre politique, notre éthique. Analyser la poésie grecque archaïque classique ce serait, après Nietzsche, après Heidegger, excaver l’architecture d’une parole.




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