Ce qui est unique chez Baudelaire
Ce qui est unique chez Baudelaire
Calasso, Roberto  
Grau, Donatien (Traduit par) 
  • Éditeur : Belles Lettres (Les)
  • Collection : Essais
  • EAN : 9782251452449
  • Code Dimedia : 000222968
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Histoire & critique littéraire, Littérature - Essai / Critique
  • Pages : 112
  • Prix : 27,95 $
  • Paru le 10 janvier 2022
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EAN: 9782251452449

« Baudelaire s’est trouvé vivre au carrefour de la Grande Ville, qui était le carrefour de Paris, qui était le carrefour de l’Europe, qui était le carrefour du XIXe siècle, qui était le carrefour d’aujourd’hui. Ce n’est qu’à travers lui que nous en prenons conscience. On se demande pourquoi. C’est à cause du formidable écart entre son intelligence et ce qui l’entourait. Une intelligence d’un nouveau genre, fondée sur les nerfs. Mis à nu, les nerfs étaient le nouveau sensorium, le dernier fond – labile – sur lequel s’appuyer. En même temps que le regard. Le regard de Baudelaire n’a pas subi les outrages du temps. Il n’a pas été terni, rien ne l’obscurcit. Pour ceux qui le suivent, comme une lueur intermittente, se révèlent des barrières de corail, des tunnels sans fin, des réseaux de ruelles. Ils constituent le paysage de ses années, qui continue de s’étendre jusqu’à aujourd’hui – et au-delà. »
Roberto Calasso

Cet essai résulte des décennies de fréquentation de l’œuvre de Baudelaire par le grand lettré qu’est Roberto Calasso. Au travers d’une lecture intime du texte, mais aussi de la connaissance des multiples récits, correspondances de l’auteur, Roberto Calasso a atteint une expertise peu égalée de l’œuvre de Baudelaire. Pour célébrer le bicentenaire de la naissance du poète, à l’invitation du musée d’Orsay et des Belles Lettres, il s’est replongé dans ses lectures, pour en extraire des leçons sur ce qui fait la radicale irréductibilité de l’œuvre de Baudelaire, de sa sensibilité et de sa conception du monde.

Extrait

« Le cycle de l'écrivain comme bouc émissaire s'était ouvert avec Hölderlin, avait culminé avec Baudelaire-Poe et se terminait avec Artaud. Après avoir franchi la ligne de partage des eaux de la seconde moitié du vingtième siècle, la densité de l'invention littéraire s'amenuise et l'époque semble se consacrer à l'absorption des énergies et des chocs libérés par les décennies précédentes. Mais surtout : la mise en scène de la société qui se sacrifie à elle-même commence à se révéler dans sa folle mesquinerie. Autant le détachement du sacrifice "per sanguinem hircorum aut vitulorum" avait été irréversible et autant l'idée d'abattre un animal en signe de dévotion à un dieu était devenue inacceptable au fil du temps, autant l'idée de laisser sa vie être brisée par les mâchoires de la société devait paraître tout aussi répugnante - ou plutôt, beaucoup plus. Les derniers des maudits ne sont plus des écrivains mais des rock stars ou des créatures semblables à des concrétions publicitaires. Il incombe maintenant à l'écrivain de trouver une nouvelle stratégie, qui passe le plus souvent inaperçue.
 
Mais elle aussi avait été anticipée par Baudelaire, lorsqu'il avait revendiqué comme indispensable "le droit de partir". Même si ce droit n'a jamais été inclus dans la longue liste des droits de l'homme, il serait le seul moyen d'échapper à la contrainte de subir le sort de la victime expiatoire. Désormais, la non-adhésion à la société - qui ne se signale plus par des gestes ostensibles mais par un retrait silencieux de la foi - devient le nouveau signe de reconnaissance, à l'instar de la Rose- Croix dispensée de toute liturgie. On ne sait pas combien de temps cet état d'incognito va durer ni ce qu'il va produire. Peut-être seulement de nouvelles formes. On peut imaginer une police encore plus vigilante pour étouffer tout renoncement, mais on peut aussi imaginer une détente soudaine – une fois que le Grand Animal, le poids lourd de la société, est lâché comme un immense lest. » 




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