Traité des sirènes
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« Le Chant des Sirènes attire et inquiète les hommes depuis longtemps, comme s’il mariait étrangement la Berceuse, le charme qui endort périlleusement, et le Clairon, la puissance du réveil nécessaire pour échapper au péril. Mais ce Chant est un Discours, et d’abord celui du poème d’Homère, et sa mélodie vivante et mortelle est la musique d’une promesse de savoir. Tout se passe comme si la musique conservait en sa force irrésistible et insuffisante exactement l’ambiguïté du Chant des Sirènes : tantôt elle affaiblit et apaise celui qui en subit l’effet, lui promettant l’irrespirable cohérence du Savoir Absolu, tantôt elle le renforce et le relance dans la vie qui cherche son rythme et son sens pour ne pas en finir. Le langage même, qui occulte et rappelle les séductions de sa forme pleine de signification, est ce poème chanté où les noms contractent déjà le rêve ambigu d’un son où naîtrait le sens qui se dérobe. Chaque fois que nous parlons (énonçant, nommant) et écoutons, nous rejouons la scène du Chant XII de l’Odyssée : nous nous confions aux promesses des sons que l’humanité a organisés en langues et en musiques, sans jamais savoir pourquoi elles n’en finissent pas d’attirer et de nous engager à ne pas nous y abandonner. »
En 1959 Maurice Blanchot avait placé en ouverture de son Livre à venir un très beau texte où il lisait le mythe conté dans l’Odyssée comme une allégorie du destin de la littérature. Philippe Beck poursuit, d’une tout autre manière, en l’approfondissant, cette réflexion sur le chant des sirènes, s’interrogeant sur ce qui est au cœur du mystère de la musique et de la poésie. Le miracle, ici, c’est que sa prose, à la fois lumineuse et obscure, parsemée de magnifiques citations-cigales de Jean-Paul Richter, de Nietzsche, de John Donne... — un peu comme dans les symphonies de Mahler où surgissent des échos de Beethoven de Schubert ou de Chants populaires —, reste toujours à l’image de son sujet, séduisante et profonde comme la musique « savante ». Ces 46 « Dignités », ainsi que les textes plus brefs de Musique du nom, sont autant de poèmes en prose, autant de « variations symphoniques ».
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