Revue Otrante, no 36
Revue Otrante, no 36
Fantastique de l'Est (Le): dictatures imaginaires et politiques
Collectif  
  • Éditeur : Kimé
  • Collection : Revue Otrante (#36)
  • EAN : 9782841746866
  • Code Dimedia : B0001617
  • Format : Revue & périodique
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Littérature - Essai / Critique
  • Pages : 188
  • Prix : 37,95 $
  • Paru le 19 janvier 2015
  • Statut : Disponible, 2 à 4 semaines
  • Code de recherche: REVOTR
  • Groupe: Sciences humaines
  • Date de l'office: 15 janvier 2015
  • Langue d'origine: français
EAN: 9782841746866

« Nous sommes en Transylvanie, et la Transylvanie n’est pas l’Angleterre » dit le comte Dracula à Jonathan Harker, comme si cette déclaration devrait suffire pour expliquer tout phénomène étrange et autrement inexplicable. Et pourquoi pas ? Déjà au 18e siècle, lorsque des voyageurs comme Diderot ou le comte de Ségur quittent la France pour se rendre en Russie, les descriptions qu’ils fournissent de l’Europe de l’Est relèvent moins d’une découverte que d’une invention d’un monde imaginaire où tout peut arriver. Il s’agit, en effet, de l’invention d’une zone qui sert à définir par opposition l’Europe Occidentale : un monde où tout s’oppose à ce qui était familier, où les coutumes archaïques, disparues depuis longtemps en France, subsistent, où ce qui était impossible dans le monde rationnel des Lumières est non seulement possible, mais de norme.
C’est comme si en franchissant une frontière géopolitique, ces voyageurs réels (et après eux de nombreux voyageurs fictionnels) franchissaient aussi une frontière de l’imaginaire. Habitée par des sauvages vêtus de peaux de bêtes, par d’énormes créatures barbues, par des Bohémiens investis de pouvoirs occultes, par des sorcières qui pratiquent la magie noire et par des princes sanguinaires et terrifiants, l’Europe de l’Est est couverte de forêts inextricables et mystérieuses (la Transylvanie n’est-elle pas « terra ultra silvam », pays au-delà des forêts ?), qui cachent des châteaux sombres où le temps semble s’être arrêté. Finalement, ces territoires incarnent une sorte de « ça » où toutes les pulsions animales, peurs et phobies se trouvent matérialisées sous la forme de maints personnages fantastiques dont les noms insolites et exotiques son soigneusement répertoriés par le voyageur sceptique mais épouvanté malgré son scepticisme : vlkoslak, vrolok, stregoica, vourdalak, balauri ou zmei.
Et pourtant, l’Europe de l’Est n’est pas qu’un lieu de prédilection pour le fantastique, comme pour Mérimée, Nodier, Bram Stoker ou Jules Verne, mais aussi la source d’une écriture du fantastique qui met en scène – parfois avec auto-ironie – la prise de conscience de cette étrange condition, de monde incertain hésitant entre deux mondes, entre un passé figé et le présent, entre une société moderne et une société endormie, pétrifiée dans ses traditions archaïques. La Famille du Vourdalak d’Alexeï Tolstoï anticipe d’ailleurs le grand thème du vampire, alors que le clin d’oeil ambigu de La Dame de pique de Pouchkine ou le grotesque du Nez de Gogol font penser à un certain humour noir du réalisme magique. Au 20e siècle, comme la condition est-européenne coïncide avec le monstrueux quotidien de la dystopie communiste, le fantastique devient pour les pays de l’Est une manière subversive de parler de la réalité, comme dans la sciencefiction de Zamiatine, dans le mélange de réel et d’imaginaire chez Bulgakov ou dans le monde onirique de Kundera ou Cartarescu.
Dès lors, il appartenait à Otrante d’arpenter ce territoire non pas oublié, mais imparfaitement cartographié, au gré de points d’ancrage qui cachent plus qu’ils ne dévoilent.




NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.