Gallimard chez les nazis
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Gallimard chez les nazis rappelle que tout ce qui a été publié à Paris de façon officielle entre 1940 et 1944 le fut avec l’accord de la censure nazie. Des écrivains célèbres ont publié des oeuvres majeures durant ces années noires. Il est étonnant de constater le nombre d’intellectuels qui ont choisi d’attendre ou de s’engager consciemment ou inconsciemment dans la collaboration avec l’ennemi. À la Libération certains seront condamnés, d’autres effaceront leurs traces. La thèse principale de cet essai : « pour aucune raison il ne faut sacrifier l’individu au profit d’abstractions idéologiques ».
L’idée d’écrire sur le sujet ne m’avait jamais traversé l’esprit. Ni même celle de m’y intéresser plus d’une heure, perdue d’avance sous le joug de l’histoire. C’est justement de la lourdeur plombée qu’il est question ici. Les astres, souvent porteurs d’augures néfastes, se sont pourtant alignés, du moins d’après ce que je peux capter des événements contemporains. Le livre surtout. Paxton, Corpet et Paulhan, Archives de la vie littéraire sous l’Occupation. À travers le désastre, lecture suppléante à l’exposition ayant eu lieu à la Public Library de Manhattan durant l’été 2009. livre d’une grande somptuosité acheté à Paris chez claire Paulhan, petite-fille de « l’image même de la résistance », un ouvrage jetant cartes sur table d’un jeu qu’on a voulu littéraire mais qui restera, avant tout, un effet de la plus grande boucherie du XXe siècle.
Le 6 juin 2009, soixante-cinq ans après le débarquement de Normandie, je reçois par courriel une pub annonçant le 100e anniversaire de la NRF. Sur un ton gaillard, le texte officiel présente ainsi la réjouissance : « [...] rigueur intellectuelle et morale. Une éthique que Jacques Rivière d’abord, qui dirigea la revue de 1919 à 1925 (année de sa mort à l’âge de quarante ans), puis Jean Paulhan, qui en prit la tête par deux fois, de 1925 à 1940 et – passé l’épisode peu glorieux de la guerre avec notamment un Drieu La Rochelle nommé à la tête de la NRF, qu’il avait rejointe en 1919 pour satisfaire aux exigences de l’occupant allemand – de 1953 à 1968, ont entretenue, cultivée, enrichie. »
Les astres ont peut-être raison. Le ciel de l’été 2009 a été gorgé d’orages. Les festivités auront certes lieu un peu partout dans les officines de la grande famille Gallimard, à Paris surtout. Cent ans de grande littérature, j’en conviens, mais jamais cent ans de « rigueur intellectuelle et morale ». Un faussaire laisse toujours, si minimes soient-elles, des traces de son délit, sa signature parfois. Le communiqué officiel des éditions Gallimard est maculé d’empreintes digitales, non pas d’un coupable – ils ont tous été blanchis au sortir de l’épuration –, mais plutôt d’un mauvais état de conscience qu’il est, me semble-t-il, essentiel d’exposer aujourd’hui afin qu’il ne sombre pas à tout jamais dans les oubliettes vermoulues de la grande histoire.
Natif de Montréal, Jean-François Poupart est écrivain, professeur, musicien et cofondateur des éditions Poètes de brousse. Il détient un doctorat de l’Université Paris IV-Sorbonne portant sur le silence dans la poésie moderne et défend une poésie du mouvement et de l’abstraction lyrique. Il a fait paraître cinq recueils de poésie dont Morsures de Terre (1997), Tombes Londres tombe (2006 – Prix des lecteurs du marché de la poésie de Montréal) et L’Or de Klimt (finaliste au Prix du Gouverneur Général), paru en 2010 aux éditions Poètes de brousse. Il est aussi l’auteur de deux essais (La tentation du silence, 1998, et Gallimard chez les nazis, 2009) et d’un roman paru aux éditions Coups de tête (Toujours vert, 2009).
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