Estuaire, no 154
Estuaire, no 154
Amitié du réel (L')
Collectif  
  • Éditeur : Estuaire
  • Collection : Estuaire (#154)
  • Code Dimedia : 24000154
  • Format : Revue & périodique
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Littérature - Essai / Critique, Littérature québécoise, Poésie
  • Pages : 126
  • Prix : 10,00 $
  • Paru le 7 octobre 2013
  • Plus d'informations...

L’amitié du réel
par André Roy

Afin de présenter ce 154e numéro de la revue, nous tirons cette belle expression de la suite de Normand de Bellefeuille : « il [le poème] a une grande amitié / pour le réel. » Normand de Bellefeuille renforce sa perception de la poésie en ajoutant que le poème est « la blessure même » ; mais également qu’il « est la récompense pour la vie ». Ces mots sont réconfortants. Le poète détient le pouvoir d’évoquer le réel, de provoquer une émotion dans cette rencontre avec le réel. Tout comme la prose, à travers les images, les symboles, les dérives linguistiques, la poésie nous maintient en vie en nous alertant sur le monde. Elle peut être contemplative ; mais aussi engagée. Elle peut être autant conscience que voyance. Mémoire qu’anticipation du présent. Émotion pure que pensée. 

La poésie a besoin du temps, non pour être appréciée, mais pour être lue, c’est-à-dire pour nous envahir, nous déstabiliser, nous ébranler, apportant lucidité et joie jusqu’à nous pousser par le cœur et l’intelligence à changer le monde. Expérimentation des formes et manifestation d’une autre réalité, elle peut s’écrire autant dans l’urgence que dans la tranquille inspiration du moment. Déchiffrement du réel, elle est la liberté même. Elle se nourrit de la nostalgie subversive ; nous entraîne dans une mélancolie d’avenir ; exige de nous de dire notre présence au monde. Oui, plus qu’on ne le croit, entre délire des mots et poids du réel, elle est passion du temps présent. Elle l’éclaire en abolissant les chimères et en détruisant les illusions. Rebelle et impérative, elle devient l’expression la plus enthousiasmante de nos interrogations et de nos sentiments actuels. Pour cela, il faut vouloir vivre avec elle, accepter d’être égaré par elle, mais également de s’égarer avec elle, de se mettre en colère comme de pleurer. Elle enregistre à sa manière le monde, le montre, le transfigure. Elle nous transforme en transformant l’espace du réel en cet événement éphémère et durable qu’est la vie.

En rédigeant ces notations sur la poésie, nous pensions à cette catastrophe qu’a été le déraillement dans la ville de Lac-Mégantic en juillet dernier. La nouvelle fut terrible, foudroyante. Brûlure, douleur. Le tragique même. Longtemps, cet événement et ses répercussions tant personnelles que nationales se feront sentir en nous. Le temps décantera certes le choc, les émotions se videront de leur proximité traumatique. Il y aura un deuil — tout symbolique qu’il puisse être pour nous qui nous sommes à des kilomètres du lieu de ce drame affreux jusqu’à l’impensable — à faire. L’événement s’ancrera dans notre mémoire collective. Des œuvres en naîtront peut être. Des poètes, dans la passion de dire le réel, s’en empareront probablement. Nous le souhaitons même : le réel ne doit jamais faire défaut aux poètes.

Chaque numéro d’Estuaire a le devoir de le confirmer.




NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.